Bon anniversaire...
Avril 2015, la fin d'un système qui a modelé l'élevage pendant trente ans.
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J'aimerais vous parler d'un poids qui pèse sur mes épaules, lourd, lourd comme un âne mort. Et question d'âne mort, je sais de quoi je cause, vu que j'ai eu moi-même un âne et qu'il est mort à Noël. Ça m'a même été confirmé par l'équarrisseur qui m'a dit d'un ton professionnel : « Y'a pas à dire, un âne mort, ça pèse son poids ! » Avril, c'est le mois du printemps, même qu'il ne faut pas se découvrir d'un fil, et qu'en mai, on peut faire ce qu'il nous plaît. Par un heureux hasard, je suis né le jour de mon anniversaire en avril. Donc avril est pour moi empreint d'une certaine mélancolie puisque, s'il vous annonce les beaux jours, moi, il me rapproche inexorablement d'une fin que je souhaite tardive.
Par timidité, voire par pudeur, je n'ose vous dévoiler mon âge, surtout que ma voisine me disait pas plus tard qu'hier : « Ah ben dis donc, tu ne les fais pas ! » Il faut dire que mon port altier, mon sourire craquant comme un Petit Lu compensent une calvitie bien envahissante. L'avantage d'avoir un certain âge, voire un âge certain, c'est que j'ai connu pas mal d'expériences et que même si je ne peux pas parler comme un vieux, j'ai connu le service militaire, moi, Môssieur ! Je me suis même installé avant les quotas. C'est vous dire !
Justement, en parlant de quota, avril 2015 sera le dernier anniversaire de cette institution mise en place en 1984 sur la base d'une référence 1983. Trente ans de contingentement, de critiques lors de sa mise en place, de critiques pendant son application et de critiques lors de sa suppression. Va comprendre ! Le système a permis de réguler une production excédentaire, de maintenir un prix relativement stable et d'envisager une certaine vision à moyen terme. Mais il a sclérosé les plus dynamiques tout en divisant pratiquement par 5 le nombre de producteurs en trente ans. Habitués à recevoir tous les mois la « paie de lait », nous nous sommes progressivement laissés aller à une certaine atonie jusqu'à la première crise de 2009 qui secoua le monde laitier, peu accoutumés aux crises contrairement à nos collègues en porc ou volaille.
Aujourd'hui, nous sommes au début d'une nouvelle ère, avec beaucoup d'interrogations, mais aussi l'espoir d'infléchir le cours des choses.
Quoi qu'en disent les laiteries, le quota donnait une valeur marchande à nos exploitations. Maintenant, ce sera la valeur du contrat. Nous ne serons plus propriétaires de notre droit à produire, qui ne sera d'ailleurs plus un droit mais un volume contractualisé. Mais que vaut un contrat arrivé à son terme ou que l'on veut céder à un repreneur livrant à une autre laiterie ? La laiterie aura tout pouvoir de virer les grandes gueules ou un petit livreur excentré de la zone de collecte puisque, de toute façon, le lait restera dans l'entreprise. L'évincé devra retrouver une entreprise qui veuille bien l'accueillir. En période de forte demande, cela ne posera pas de problème, mais en cas d'excédents ou de marché déprimé... Vous l'avez compris, nous sommes passés d'un système administré à un système régulé par l'acheteur et le marché. Les économistes tablent sur 20 000 livreurs en 2025 : moins nous serons nombreux et moins nous pèserons.
Il est urgent de se regrouper en OP interlaiteries (coops et privées) afin de peser sur l'approvisionnement, sous peine de se voir progressivement intégrés. Certaines entreprises promettent de cautionner une partie des emprunts d'un jeune s'engageant par contrat. Ce qui peut apparaître comme un gage de sécurité est en fait un moyen de rendre captif le jeune producteur. Avec un prix du litre honnête, nous devrions être capables d'assumer le risque. Être acteur de notre avenir ou le subir : voilà le grand défi du lait.
PASCAL POMMEREUL
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